CONTEXTE

À partir des années 1840, des milliers de Canadiens français partent s’installer en Nouvelle-Angleterre, sur la côte est des États-Unis. Au départ, cette migration est généralement temporaire. Des jeunes gens traversent la frontière pour quelques mois, et travaillent pendant une saison ou deux avant de revenir au pays. Toutefois, après la guerre de Sécession (1861-1865), ces migrations deviennent de plus en plus souvent définitives. Des familles entières plient bagages pour aller s’installer aux États-Unis.

L’émigration vers les États-Unis

Au total, entre 1840 et 1930, environ 925 000 Canadiens français quittent le Québec pour aller s’installer dans les états de la Nouvelle-Angleterre (Maine, Vermont, New Hampshire, Massachusetts, Rhode Island, Connecticut). En 1901, 37% de la population canadienne-française se trouve aux États-Unis. À ton avis, quelles raisons peuvent expliquer ces départs en grand nombre? Pourquoi cette migration connaît-elle des fluctuations dans le temps?

Le développement du chemin de fer

Dans la seconde moitié du 19e siècle, un long réseau de chemins de fer vers les États-Unis est relié à celui du Québec à deux endroits. Les États du sud de la Nouvelle-Angleterre deviennent ainsi plus accessibles. Pour des prix relativement peu élevés, les migrants peuvent se rendre dans les principales villes de la région en seulement un jour ou deux, alors qu’ils devaient mettre trois à quatre semaines auparavant.

Les projets de colonisation

Pour contrer l’exode des Canadiens français vers les États-Unis, le clergé encourage la colonisation de nouvelles terres agricoles dans des régions plus éloignées de la vallée du Saint-Laurent telles que les Laurentides, la Mauricie ou le Saguenay-Lac-Saint-Jean. Les membres du clergé craignent que l’émigration mette en danger la survie des Canadiens français en Amérique du Nord. Ils cherchent aussi à maintenir les valeurs traditionnelles de la société rurale québécoise afin de garder une plus grande emprise sur elle.

Un trou démographique

« [...] [Le] mouvement migratoire, de 1840 à 1930, pousse environ 900 000 Canadiens français à s’établir aux États-Unis, surtout en Nouvelle-Angleterre. [L’historien] Albert Faucher y a vu “l’événement majeur de l’histoire canadienne française au 19e siècle.” L’effet s’en fait encore sentir aujourd’hui. La démographe Yolande Lavoie a en effet calculé qu’en l’absence d’émigration, la population franco-québécoise, qui dépassait à peine un demi-million vers 1840, se serait chiffrée à environ 9 millions en 1980. Le déficit dû à l’émigration atteint donc 4 millions de personnes. »

Ci-dessus: Carte des États de la Nouvelle-Angleterre

La poussée démographique qui survient entre 1780 et 1840 entraîne un certain encombrement des terres agricoles au Bas-Canada. Il n’y a plus assez de terres disponibles pour tous dans la vallée du Saint-Laurent, ce qui provoque une migration d’une partie de la population vers d’autres régions du Bas-Canada ou vers les États-Unis.

De plus, la production de blé décline dans les années 1830. Plusieurs raisons expliquent cette crise agricole : des mauvaises conditions climatiques, des attaques de parasites, un épuisement des sols dû à la culture trop intensive du blé et au manque d’engrais, l’établissement des colons sur des terres moins propices à la culture des céréales. Cette baisse marquée de la production céréalière contribue elle aussi à la migration de nombreuses personnes vers les centres industriels du Bas-Canada et de la Nouvelle-Angleterre.

Document 5 : Le « Petit Canada » de Manchester (New Hampshire)

« En 1871, la population franco-américaine de la ville s’élevait déjà à 2 500 âmes. L’abbé Joseph-Augustin Chevalier arriva du Québec pour y fonder la paroisse Saint-Augustin, la première parmi les huit paroisses de langue française de Manchester qui verront le jour entre 1871 et 1934. À part les églises, il y aura les écoles paroissiales bilingues, les couvents, les salles de concert, les orphelinats, les maisons de retraite, un hôpital et, bien sûr, la Caisse populaire et la Société d’assurance-vie. [...]

Plus petite, mais beaucoup plus concentrée, la rive ouest deviendra le Petit Canada par excellence, un quartier appelé Notre-Dame. C’est là [...] que l’on retrouvait un centre-ville à part et tout à fait francophone, avec ses propres épiceries, boutiques, bureaux, restaurants, tavernes et ainsi de suite, tous au rez-de-chaussée, et ses appartements appelés tenements aux étages supérieurs. [...] On pouvait donc y naître, y vivre et y mourir presque entièrement en français. »

Question: Selon ce texte, comment définirais-tu ce qu’est un « Petit Canada »?

Les industries de la Nouvelle-Angleterre

Les industries de textile et de chaussures de la Nouvelle-Angleterre attirent un grand nombre de Canadiens français. Tous les membres de la famille peuvent y trouver du travail très rapidement, même les enfants. Les employeurs apprécient la main-d’œuvre francophone, réputée pour sa docilité et son efficacité.

À la manufacture de textile Amoskeag de Manchester, jusqu’à 40% des travailleurs sont d’origine canadienne-française. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, cette industrie emploie 17 000 personnes.

L’opinion du clergé sur l’émigration

« La fièvre de l'émigration des Canadiens aux États-Unis [...] a enlevé à ce pays des milliers de braves familles. Allez les visiter dans leur nouvelle patrie, entrez dans leurs maisons, qu'y trouverez-vous ? Un père, une mère canadiens-français, nés et élevés catholiquement dans le Bas-Canada. [...] Le père et la mère vous répondront en français qu'ils ont quitté le Canada depuis quinze ans, vingt ans ; que depuis ils ont parfaitement appris l'anglais [...]. À vos questions en français, les enfants, un peu étonnés d'entendre cette langue, vous regarderont en répondant : " I don't understand." [Je ne comprends pas.] »